Photo : ©JY.LP

«Pour triompher on doit être fondamentalement égoïste, mais on ne peut triompher seul».

Guillaume MARTIN

Comment concilier le singulier et le collectif ?

On se moque fréquemment des cyclistes  en considérant un peu facilement qu’ils ont tout dans les jambes et rien dans la tête. Il est pourtant acquis que chez les cyclistes, tout autant que dans d’autres disciplines, l’activité physique se révèle propice à la réflexion.

Quel cyclo ne s’est pas demandé à l’occasion d’une galère, qu’est-ce qu’il pouvait bien faire là ? S’inscrire dans la souffrance à ne plus goûter aux plaisirs d’une ballade le nez au vent, vouloir améliorer son temps d’ascension de quelques secondes, vouloir battre un des meilleurs du peloton, vouloir se construire un palmarès et pour cela sacrifier des moments de confortables bien-être et une partie de sa vie de famille, est-ce bien raisonnable, n’est-ce pas absurde par certains côtés ? Mobiliser toute son énergie, toute son intelligence, libérer son agressivité animale pour gagner, est-ce que cela a du sens et s’il en a, quel sens doit-on lui donner ?

Ce n’est pas facile de répondre à ces questions, mais chercher à y répondre est noble. C’est ce que fait, Guillaume MARTIN, leader actuel de l’équipe COFIDIS dans un ouvrage philosophique qu’il vient de publier : «La société du peloton»(1). Philosophe de formation, Guillaume, s’interroge sur son rôle et celui de ses équipiers au sein d’une équipe professionnelle ainsi que sur les conflits d’intérêts et de pouvoirs qui s’y jouent. Il le fait à la lumière de grands courants philosophiques qui ne seront pas sans rappeler les cours de philo à ceux qui ont eu la chance d’en bénéficier. En élargissant sa réflexion et par extrapolation, il s’interroge sur la place de l’individu, dans la société.

Il met en exergue l’incohérence du comportement d’un peloton face à une échappée, ou encore l’irrationalité de coureurs au sein de cette même échappée, tiraillés qu’ils sont entre la nécessité de collaborer et de combiner leurs efforts pour empêcher le retour du peloton et la nécessité d’en garder sous la pédale pour pouvoir gagner. «Pour triompher on doit être fondamentalement égoïste, mais on ne peut triompher seul»(2)

De ces constats et de quelques autres, il engage une réflexion philosophique autour de l’individu et du groupe, de l’individuel et du collectif, de l’égoïsme et de l’altruisme. De manière insuffisamment charpentée, de mon point de vue, il extrapole ses réflexions à des questions sociétales, telles que la démocratie malmenée, les limites du capitalisme, la mondialisation, la décroissance  ou encore le réchauffement climatique. Sur ce dernier point, il constate que si collectivement on admet facilement la nécessité de prendre en urgence des mesures radicales, au niveau individuel et comportemental il n’en est pas de même. La résistance au changement et les replis égoïstes restent très forts.

« Le cyclisme est le lieu d’une affirmation décomplexée de soi, de son individualité , de sa corpoéité, le lieu d’un autoaccomplissement. »

Cette plongée au coeur du peloton nous permet également de mieux mesurer l’impact des oreillettes. En liaison permanente avec leaders et équipiers, les directeurs sportifs ont par ce biais le pouvoir d’influencer la course en accordant la priorité aux intérêts, souvent commerciaux, de l’équipe et cela au détriment des coureurs et de ce qui fait la noblesse du sport : «l’affrontement d’homme à homme». Guillaume MARTIN revendique de donner plus de liberté d’action aux coureurs afin de laisser libre cours à «une animalité instinctive» originelle, replaçant ainsi l’homme au centre du jeu. «Le cyclisme demande une part de folie, d’improvisation, une capacité à réagir dans l’instant à une situation imprévue». (3)

Si le matériau qu’utilise Guillaume MARTIN, -le peloton- pour trouver des réponses à quelques questions existentielles qu’il se pose, nous est familier, la multiplication des détours philosophiques pour y parvenir, peuvent rendre la lecture de l’ouvrage parfois difficile. Il aurait pu, sans pour autant écarter ses références aux grands philosophes, traiter le sujet de son étude, aussi sous le prisme de la «sociologie des organisations» ou de la «psychosociologie». Mais son aversion revendiquée pour les approches managériales semble l’avoir poussé à se priver de cet éclairage. Dommage !

Si le sujet vous intéresse, «La Gazette» vous invite à écouter une interview de Guillaume MARTIN, donnée le 6 décembre dernier à «Rayon Libre», une émission de la radio associative «Cause Commune». (Durée 29 mn)

JY.LP

1)- «La société du peloton – Philosophie de l’individu dans le groupe» – Edition Bernard Grasset – 186 pages – novembre 2021.

2)- Cf page 65.

3)- Cf page 92.

4)- «Rayon Libre – Cause Commune» : Radio associative et citoyenne, Cause Commune investit des questions d’actualité ou de société en interaction avec ses auditeurs, relaye les initiatives locales dans les domaines de la protection de l’environnement, de l’économie solidaire et du partage des savoirs et de la culture, tout en ouvrant au questionnement, au débat et à l’échange autour de ces initiatives.


Guillaume MARTIN – Photo : ©COFIDIS

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